INJUSTE, (Morale) ces termes se prennent communément dans un sens fort vague, pour ce qui se rapporte aux notions naturelles que nous avons de nos devoirs envers le prochain. On les détermine davantage, en disant que le juste est ce qui est conforme aux lois civiles, par opposition à l'équittable, qui consiste dans la seule convenance avec les lois naturelles. Enfin, le dernier degré de précision Ve à n'appeler juste, que ce qui se fait en vertu du droit parfait d'autrui, réservant le nom d'équittable pour ce qui se fait eu égard au droit imparfait. Or on appelle droit parfait, celui qui est accompagné du pouvoir de contraindre. Le contrat de louage donne au propriétaire le droit parfait d'exiger du locataire le payement du loyer ; et si ce dernier élude le payement, on dit qu'il commet une injustice. Au contraire, le pauvre n'a qu'un droit imparfait à l'aumône qu'il demande : le riche qui la lui refuse peche donc contre la seule équité, et ne saurait dans le sens propre être qualifié d'injuste. Les noms de justes et d'injustes, et d'équittables et d'iniques, donnés aux actions, portent par conséquent sur leur rapport aux droits d'autrui ; au lieu qu'en les considérant relativement à l'obligation, ou à la loi, dont l'obligation est l'âme, les actions sont dites dû.s ou illicites ; car une même action peut être appelée bonne, dû., licite, honnête, suivant les différents points de vue sous lesquels on l'envisage.

Ces distinctions posées, il me parait assez aisé de résoudre la fameuse question, s'il y a quelque chose de juste ou d'injuste avant la loi.

Faute de fixer le sens des termes, les plus fameux moralistes ont échoué ici. Si l'on entend par le juste et l'injuste, les qualités morales des actions qui lui servent de fondement, la convenance des choses, les lois naturelles : sans contredit, toutes ces idées sont fort antérieures à la loi, puisque la loi bâtit sur elles, et ne saurait leur contredire : mais si vous prenez le juste et l'injuste pour l'obligation parfaite et positive de régler votre conduite, et de déterminer vos actions suivant ces principes, cette obligation est postérieure à la promulgation de la loi ; et ne saurait exister qu'après la loi. Grotius d'après les Scholastiques, et la plupart des anciens philosophes, avait affirmé qu'en faisant abstraction de toutes sortes de lais, il se trouve des principes surs, des vérités qui servent à démêler le juste d'avec l'injuste. Cela est vrai, mais cela n'est pas exactement exprimé : s'il n'y avait point de lais, il n'y aurait ni juste ni injuste, ces dénominations survenant aux actions par l'effet de la loi : mais il y aurait toujours dans la nature des principes d'équité et de convenance, sur lesquels il faudrait régler les lais, et qui munis une fois de l'autorité des lais, deviendraient le juste et l'injuste. Les maximes gravées, pour ainsi dire, sur les tables de l'humanité, sont aussi anciennes que l'homme, et ont précédé les lois auxquelles elles doivent servir de principes ; mais ce sont les lois qui, en ratifiant ces maximes, et en leur imprimant la force de l'autorité et des sanctions, ont produit les droits parfaits, dont l'observation est appelée justice, la violation injustice. Puffendorf en voulant critiquer Grotius, qui n'a erré que dans l'expression, tombe dans un sentiment réellement insoutenable, et prétend qu'il faut absolument des lois pour fonder les qualités morales des actions. (Droit naturel, liv. I. c. XIe n. 6.) Il est pourtant constant que la première chose à quoi l'on fait attention dans une loi, c'est si ce qu'elle porte est fondé en raison. On dit vulgairement qu'une loi est juste ; mais c'est une suite de l'impropriété que j'ai déjà combattue. La loi fait le juste ; ainsi il faut demander si elle est raisonnable, équitable ; et si elle est telle, ses arrêts ajouteront aux caractères de raison et d'équité, celui de justice. Car si elle est en opposition avec ces notions primitives, elle ne saurait rendre juste ce qu'elle ordonne. Le fonds fourni par la nature est une base sans laquelle il n'y a point d'édifice, une toîle sans laquelle les couleurs ne sauraient être appliquées. Ne résulte-t-il donc pas évidemment de ce premier requisitum de la loi, qu'aucune loi n'est par elle-même la source des qualités morales des actions, du bon, du droit, de l'honnête ; mais que ces qualités morales sont fondées sur quelqu'autre chose que le bon plaisir du législateur, et qu'on peut les découvrir sans lui ? En effet, le bon ou le mauvais en Morale, comme par-tout ailleurs, se fonde sur le rapport essentiel, ou la disconvenance essentielle d'une chose avec une autre. Car si l'on suppose des êtres créés, de façon qu'ils ne puissent subsister qu'en se soutenant les uns les autres, il est clair que leurs actions sont convenables ou ne le sont pas, à proportion qu'elles s'approchent ou qu'elles s'éloignent de ce but ; et que ce rapport avec notre conservation, fonde les qualités de bon et de droit, de mauvais et de pervers, qui ne dépendent par conséquent d'aucune disposition arbitraire, et existent non-seulement avant la loi, mais même quand la loi n'existerait point. " La nature universelle, dit l'empereur philosophe, (liv. X. art. j.) ayant créé les hommes les uns pour les autres, afin qu'ils se donnent des secours mutuels, celui qui viole cette loi commet une impiété envers la Divinité la plus ancienne : car la nature universelle est la mère de tous les êtres, et par conséquent tous les êtres ont une liaison naturelle entr'eux. On l'appelle aussi la vérité, parce qu'elle est la première cause de toutes les vérités. " S'il arrivait donc qu'un législateur s'avisât de déclarer injustes les actions qui servent naturellement à nous conserver, il ne ferait que d'impuissants efforts : s'il voulait au moyen de ces lois faire passer pour justes, celles qui tendent à nous détruire, on le regarderait lui-même avec raison comme un tyran, et ces actions étant condamnées par la nature, ne pourraient être justifiées par les lois ; si quae sint tyrannorum leges, si triginta illi Athenis leges imponere voluissent, aut si omnes Athenienses delectarentur tyrannicis legibus, num idcirco hae leges justae haberentur ? Quod si principum decretis, si sententiis judicum jura constituerentur, jus esset latrocinari, jus ipsum adulterare. (Cicero, lib. X. de Legibus.) Grotius a donc été très-fondé à soutenir que la loi ne sert et ne tend en effet, qu'à faire connaître, qu'à marquer les actions qui conviennent ou qui ne conviennent pas à la nature humaine ; et rien n'est plus aisé que de faire sentir le faible des raisons dont Puffendorf, et quelques autres jurisconsultes, se sont servis pour combattre ce sentiment.

On objecte, par exemple, que ceux qui admettent pour fondement de la moralité de nos actions, je ne sais quelle règle éternelle indépendante de l'institution divine, associent manifestement à Dieu un principe extérieur et co-éternel, qu'il a dû suivre nécessairement dans la détermination des qualités essentielles et distinctives de chaque chose. Ce raisonnement étant fondé sur un faux principe, croule avec lui : le principe dont je veux parler, c'est celui de la liberté d'indifférence de Dieu, et du prétendu pouvoir qu'on lui attribue de disposer à son gré des essences. Cette supposition est contradictoire : la liberté du grand auteur de toutes choses consiste à pouvoir créer ou ne pas créer ; mais dès-là qu'il se propose de créer certains êtres, il implique qu'il les crée autres que leur essence, et ses propres idées les lui représentent. S'il eut donc donné aux créatures qui portent le nom d'hommes, une autre nature, un autre être, que celui qu'ils ont reçu, elles n'eussent pas été ce qu'elles sont actuellement ; et les actions qui leur conviennent entant qu'hommes, ne s'accorderaient plus avec leur nature.

C'est donc proprement de cette nature que résultent les propriétés de nos actions, lesquelles en ce sens ne souffrent point de variation ; et c'est cette immutabilité des essences qui forme la raison et la vérité éternelle, dont Dieu, en qualité d'être souverainement parfait, ne saurait se départir. Mais la vérité, pour être invariable, pour être conforme à la nature et à l'essence des choses, ne forme pas un principe extérieur par rapport à Dieu. Elle est fondée sur ses propres idées, dont on peut dire en un sens, que découle l'essence et la nature des choses, puisqu'elles sont éternelles, et que hors d'elles rien n'est vrai ni possible. Concluons donc qu'une action qui convient ou qui ne convient pas à la nature de l'être qui la produit, est moralement bonne ou mauvaise, non parce qu'elle est conforme ou contraire à la loi, mais parce qu'elle s'accorde avec l'essence de l'être qui la produit, ou qu'elle y répugne : ensuite de quoi, la loi survenant, et bâtissant sur les fondements posés par la nature, rend juste ce qu'elle ordonne ou permet, et injuste ce qu'elle défend.

JUSTE, en Musique, est opposé à faux ; et cette épithète se donne à tout intervalle dont les sons sont exactement dans le rapport qu'ils doivent avoir. Mais ce mot s'applique spécialement aux consonnances parfaites. Les imparfaites peuvent être majeures ou mineures, mais celles-ci sont nécessairement justes ; dès qu'on les altère d'un semi-ton ; elles deviennent fausses, et par conséquent dissonnantes. (S)

JUSTE, (Peinture) un dessein juste : conforme à l'original ; dessiner avec justesse, c'est-à-dire avec précision, exactitude.

JUSTE, (Commerce) en fait de poids, ce qui est en équilibre, ce qui ne panche pas plus d'un côté que de l'autre ; on le dit des balances.

Peser juste, c'est ne point donner de trait ; on pese ainsi l'or, l'argent, les diamants, dont le bon poids apporterait trop de préjudice au vendeur. La plupart des marchandises se pesent en donnant du trait, c'est-à-dire en chargeant assez le bassin ou on les met pour emporter celui où est le poids.

Auner juste, c'est auner bois à bois, et sans pouce event. Voyez AUNER et EVENT, Dictionnaire de Commerce.

JUSTE, s. m. (Gram. Tail.) c'est un vêtement de femmes ; il a des manches. Il s'applique exactement sur le corps. Si l'on en porte un, il s'agraffe ou se lace par-devant ou par-derrière. Il est échancré, et laisse voir la poitrine et la gorge ; il prend bien, et fait valoir la taille ; il a de petites basques par-derrière et par-devant. La mode en est passée à la ville ; nos paysannes sont en juste, et quand elles sont jolies, sous ce vêtement elles en paraissent encore plus élégantes et plus jolies.